“Le gouvernement confirme sa détermination à faire de la loi de finances pour 2014 le premier acte du verdissement de la fiscalité française”, ont affirmé le 18 juillet les ministres Pierre Moscovici (Finances), Philippe Martin (Ecologie) et Bernard Cazeneuve (Budget), lors de la remise du rapport d’étape du Comité pour la fiscalité écologique (CFE), élaboré par son président, l’économiste Christian de Perthuis. Ce comité a été installé en décembre dernier, à la suite de la conférence environnementale de septembre 2012. Composé de six groupes de parties prenantes – services de l’Etat, syndicats de salariés, représentants des entreprises, associations, collectivités, parlementaires nationaux et européens – il est chargé d’émettre des avis et propositions destinés à favoriser la mise en place d’une fiscalité écologique en France. Les avis qu’il a adoptés sur le différentiel de taxation entre le gazole et l’essence, la fiscalisation des fluides frigorigènes ou les outils fiscaux au service de la lutte contre l’artificialisation des sols “fournissent au gouvernement de précieux éléments d’analyse”, ont souligné les ministres.
“La montée en régime de la fiscalité écologique dans notre pays est souhaitée par tous si elle s’effectue sans alourdissement de la pression fiscale totale, écrit Christian de Perthuis dans le courrier aux ministres, en introduction de son rapport. Les membres du CFE considèrent que leur travail serait facilité s’ils avaient une vision plus claire de l’évolution d’ensemble des prélèvements obligatoires (en masse et en structure) visée par le gouvernement. Cette question se cristallise notamment sur les liens entre fiscalité écologique et financement du Cice [crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, NDLR].” Ce crédit d’impôt, décidé par le gouvernement dans le cadre de son “Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi”, faisant suite au rapport Gallois, vise à alléger de 20 milliards d’euros par an les coûts des entreprises, pour améliorer la compétitivité et l’emploi (voir notre article du 6 novembre 2012). Un allègement financé “pour dix milliards par la restructuration des taux de TVA et la fiscalité écologique”, “sans prélèvement supplémentaire pour les contribuables en 2013”, s’était engagé le Premier ministre le 6 novembre dernier. “La nouvelle fiscalité écologique, telle que la conférence environnementale l’a annoncée, sera discutée dans le cadre de la transition énergétique et prendra effet en 2016”, avait-il alors ajouté.
Economie des ressources
Le rapport d’étape de 66 pages remis par le président du CFE au gouvernement le 18 juillet dresse le bilan des travaux réalisés au cours du premier semestre et détaille les avis et propositions en vue de la préparation de la loi de finances pour 2014. Un premier groupe de travail consacré à l’économie des ressources s’interroge sur le type d’incitations fiscales susceptibles de mieux protéger les ressources naturelles “afin de découpler progressivement croissance économique et prélèvement sur les ressources”, rappelle le rapport. Dans le cadre des incitations à la protection de la biodiversité, le CFE a ainsi adopté deux avis destinés à lutter contre l’artificialisation des sols. L’un, le 28 mars, rappelle la nécessité de freiner l’artificialisation résultant de l’expansion des infrastructures urbaines et économiques et explore à ce sujet différentes pistes. Un autre avis, le 13 juin, recommande d’introduire des modifications dans le calcul de la taxe d’aménagement et de rendre plus incitatif le mécanisme du seuil minimal de densité. Le groupe de travail “économie des ressources” a aussi été saisi d’une demande concernant le fonctionnement et le financement de la future agence de la biodiversité. “Il a noté que les agences de l’eau peinaient à intégrer la protection des écosystèmes dans leurs missions de protection du ‘grand cycle de l’eau, écrit Christian de Perthuis. C’est la raison pour laquelle il est pertinent de rapprocher les travaux sur la biodiversité de ceux de l’eau.” A moyen terme, note le président du CFE, “les travaux viseront à coupler l’approche traditionnelle de protection de la biodiversité par la restriction des accès (zones protégées, réserves naturelles…) à des systèmes de tarification incitant à la valorisation des services écosystémiques (filtration de l’eau, investissements dans les écosystèmes, marchés de compensation…)”, indique-t-il.
Fiscalité de l’énergie
Le CFE est aussi très attendu sur la question de la fiscalité de l’énergie, qui représente plus de 70% des taxes environnementales. Dans son avis du 28 mars, il demande la “mise à l’étude de l’introduction progressive d’une assiette carbone dans notre fiscalité qui réponde à la triple exigence écologique, économique et sociale” et dans son avis du 18 avril, il souligne que “l’écart de taxation entre l’essence et le gazole est à l’inverse de ce que recommanderait la prise en compte des externalités environnementales” et rappelle que “la défiscalisation du diesel est utilisée comme un instrument de soutien sectoriel en dépit de ses effets incitatifs défavorables à l’environnement.”
“Sur la base de ces deux avis adoptés au consensus, le président a soumis aux membres une proposition de réforme pluriannuelle de la fiscalité de l’énergie, destinée à graduellement rééquilibrer la taxation de l’essence et du gazole tout en introduisant une assiette carbone dans la fiscalité énergétique existante”, poursuit le rapport. “Le comité a examiné cette proposition le 13 juin 2013, ainsi qu’un chiffrage alternatif proposé par la Fondation Nicolas Hulot qui s’inscrit dans la même logique, mais préconise une montée en régime plus rapide et un équilibrage différent des compensations entre ménages et entreprises.” Selon Christian de Perthuis, “dans son programme de travail, le CFE devra approfondir plusieurs thématiques dans les trimestres à venir : les liens entre la réforme de la fiscalité énergétique et la compétitivité et l’emploi ; la mesure des émissions de gaz à effet de serre liées à la consommation des produits et les risques de fuites de carbone ; les dépenses fiscales négatives et positives pour l’environnement”.
Par ailleurs, le comité a émis le 18 avril un avis sur un projet de taxation des liquides frigorigènes, où il demande d’examiner la possibilité d’utiliser les fuites plutôt que la mise en marché comme assiette fiscale.
Lutte contre les pollutions
Autre thème de travail du CFE : la lutte contre les pollutions et nuisances à travers la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), les transports et la gestion des déchets. “Dans l’état actuel de notre système fiscal, la TGAP constitue le seul instrument ayant été mis en place avec une visée environnementale. Son efficacité environnementale était amoindrie par de nombreuses dérogations, notamment en ce qui concerne le traitement des déchets”, juge le rapport. Ces questions seront examinées, “notamment dans le cadre du groupe constitué pour étudier la fiscalité des déchets, dont la finalité environnementale ne fait aucun doute, mais dont l’assiette n’est pas calibrée pour inciter aux comportements vertueux. Ce chantier du CFE a été lancé en lien avec les travaux conduits par le Conseil national des déchets”. Le CFE a aussi “pris note” du projet gouvernemental d’instauration de l’écofiscalité poids lourds. Il “évaluera ce dispositif de péages interurbains une fois en place et s’interrogera sur la pertinence de ce type d’instrument pour lutter contre les nuisances liées au transport urbain”, annonce le rapport.
Après avoir balayé les principaux chantiers de la fiscalité écologique au cours de ce premier semestre et constitué quatre groupes thématiques, le Comité veut maintenant engager une démarche de “consolidation pour intégrer les différentes briques dans un ensemble cohérent”. Un “tableau de bord de la fiscalité environnementale” sera ainsi constitué. Il “réunira, sur un support unique, tous les éléments constitutifs de la fiscalité environnementale en France, permettra d’affiner les comparaisons internationales et évaluera les progrès réalisés d’une Loi de finances à l’autre”, explique Christian de Perthuis et il “explicitera les options envisageables pour assurer le déploiement d’une fiscalité écologique dans un but incitatif et sans accroissement de la charge fiscale globale”, assure-t-il.